XXXIII
Le matin suivant, à cinq heures trente. Don Packard, chef de la Dix-septième Division de la KACH, responsable de la ville de New York, enregistrait au dictaphone le mémorandum qui accompagnait le bulletin d’informations à remettre à ses clients sur la journée précédente, tandis que commençait une nouvelle journée pour les hommes et pour les femmes du commun :
« En ce qui concerne le complot envisagé par les six aides-consomm récemment promus au Conseil de la Secnat de l’ONU-O, cette conspiration n’existe plus. »
Il s’arrêta pour boire une gorgée de café.
« Ses cinq membres ont été sauvagement assassinés par leur chef, S.G.Febbs. Ce dernier se trouve actuellement dans un état d’effondrement nerveux d’origine psychotique, qui entraine inéluctablement une mort assez rapide. »
Bien que ce fût l’essentiel de l’information que désirait son client le général Nitz, Don Packard eut l’impression que quelques détails supplémentaires seraient les bienvenus :
« Hier, 12 mai 2004, à onze heures du matin, comme l’avaient appris les services de surveillance de la KACH, les conspirateurs se sont réunis dans l’appur souterrain 2A de la Forteresse Washington, immeuble 507969584. C’était leur quatrième réunion, mais pour la première fois, chacun d’eux avait apporté l’élément de l’arme N°401, qu’il devait « dépiauter ».
« Je ne répéterai pas ici le nom des six conspirateurs, le Conseil étant déjà au courant.
« S.G.Febbs, utilisant des outils de précision achetés à prix d’or, a commencé à reconstituer l’arme 401, laquelle est la première arme non-b de la nouvelle série variante.
« Tout en montrant cette arme, S.G.Febbs a exposé à ses collègues conspirateurs la ligne générale économique et sociale du nouveau système qu’il se proposait d’imposer à la place de l’organisation actuelle, et qui comprenait l’assassinat des personnages publics les plus connus. »
Une fois de plus, Don Packard s’arrêta pour siroter un peu de café. Puis il recommença à dicter, vérifiant son récit grâce à la bande de papier qui se déroulait devant lui et sur laquelle le texte s’imprimait automatiquement.
« À quatre heures de l’après-midi, un robot ordinaire du Courrier Instantané délivra un colis recommandé, à emballage courant, à l’appur 2A de l’immeuble 507969584. S.G.Febbs accepta le colis, qu’il n’ouvrit pas immédiatement pour se remettre à sa tâche.
« Une fois l’assemblage terminé, S.G.Febbs, ainsi que je l’ai déjà mentionné plus haut, a exterminé ses co-conspirateurs, devenant ainsi l’unique propriétaire du prototype de l’arme 401, le seul modèle existant, d’après ce que nous savons. »
Une fois de plus. Don Packard s’arrêta pour boire un peu de café. Il se sentait fatigué, mais sa tâche nocturne était presque achevée. Il n’aurait plus qu’à porter lui-même au général Nitz une copie du document qu’il dictait. La routine habituelle.
Don Packard enchaîna :
« S.G. Febbs a succombé à l’effet du Labyrinthe empathico-télépathique dans un temps record, c’est-à-dire plus vite que les prisonniers volontaires du pénitencier fédéral du Bloc-Ouest sur Callisto. » Et il conclut :
« S.G.Febbs se trouve maintenant à la clinique Wallingford, où il demeurera jusqu’à sa mort. »
Arrivé là, Don Packard interrompit sa dictée, les yeux pensivement fixés sur sa tasse de café : du moment que le général Nitz était son client dans cette affaire, il devait le mettre en garde au moyen d’une note de bas de page ; lentement, pesant chaque mot, il dicta :
« N.B. Il semble qu’à la suite des événements récents, Vincent Klug ait désormais accès aux ateliers énormes et au matériel unique de Lanferman Associates, en Californie, et qu’il peut y faire fabriquer en grande série autant de labyrinthes qu’il lui semblera bon. Or, ces labyrinthes sont dérivés d’une arme dont l’efficacité a été prouvée contre les êtres venus de Sirius. Il serait donc indiqué d’appliquer à Vincent Klug la mesure qui s’est révélée si utile dans le passé, à savoir, lui décerner un rang honoraire d’officier supérieur dans les forces armées du Bloc-Ouest. Ainsi, si jamais il était nécessaire…»
Il s’arrêta une fois de plus, mais contre son gré. En effet, la sonnerie de la porte de son appcad au loyer élevé – domicile tenu secret pour des raisons de sécurité – venait de retentir. Or, il n’était pas six heures du matin. Étrange, n’est-ce pas ?
Bah, se dit-il, certainement un messager du Conseil, lequel doit être anxieux de recevoir des nouvelles concernant le complot de ses six aides-consomm.
Mais l’uniforme qu’il aperçut en ouvrant la porte n’avait rien de militaire. C’était celui d’un robot flambant neuf, tout luisant de métal, un de ceux du Courrier Instantané, porteur d’un colis enveloppe de papier kraft de couleur brune.
— Monsieur Don Packard ? J’ai un colis recommandé pour vous.
Il ne manquait plus que ça, pensa l’homme de KACH, vraiment irrité. Juste au moment où il allait fermer boutique et prendre un peu de sommeil bien mérité.
— … Signez ici si vous êtes M. Don Packard lui-même, sur la ligne suivante, si vous prenez le paquet pour lui.
Il présentait simultanément un paquet, le cahier des recommandés disposé sur une sorte d’écritoire auquel était attaché un stylo-bille.
Les yeux larmoyants, l’esprit las d’une longue nuit d’insomnie consécutive à une journée où tant de choses importantes s’étaient déroulées, Don Packard, chef de la Dix-septième Division de la KACH, responsable de la ville de New York, apposa sa signature sur le cahier et prit livraison du colis. Encore quelque équipement nouveau de surveillance ou de contrôle, se dit-il. Quand donc finiront-ils d’« améliorer » constamment ces appareils que nous devons tout le temps trimballer avec nous ?
En bougonnant, il revint à son bureau, y déposa le colis.
Et il l’ouvrit.
FIN